dimanche 14 septembre 2008

Pour un herbier (Colette)


(photo Roger Viollet)


C'est tous les ans la même chose. L'automne vient, pluvieux ou non, et la nostalgie refait surface. L'envie d'oublier le Sud et ses délices, l'envie de retrouver mon village de l'Est et plus particulièrement le jardin de ma grand-mère. Pas qu'il fût particulièrement spacieux, ensoleillé, sophistiqué. Au contraire. La cour était un peu mangée par l'ombre de la maison, une fraîcheur s'y installait souvent. Les légumes cotoyaient les fleurs, roses rustiques, lupins, gueule-de-loup et monnaie-du-pape.



La vie m'a conduite loin de ce petit jardin et je ne peux plus m'y plonger à loisir. Mais Colette et son écriture charmante m'aident à m'en souvenir. J'aime Colette. Pas uniquement pour la femme libre qu'elle était. J'aime son amour de la nature. Et même si la Puisaye n'est pas l'Est, sa ruralité est proche de la ruralité lorraine avec ses maisons entourées de murs (derrière lesquels mille bêtises sont possibles) et ses petits sentiers forestiers et humides. On les découvre dans "Les vrilles de la vigne". Mais il me semble que "Pour un herbier" est plus fin, moins auto-biographique, plus sincère. Et la langue est toujours là, aussi étincelante.








En 1947, l'éditeur suisse Mermod proposa à Colette de lui envoyer régulièrement un bouquet de fleurs à chaque fois différentes; Colette, en contrepartie, ferait le "portrait" de l'une ou l'autre de ces fleurs. Le résultat fut un petit recueil qui parut en 1948 sous le titre Pour un herbier à Laussanne chez Mermod, dans la collection "Le Bouquet".


Qui mieux que Colette pouvait offrir aux fleurs aussi bel hommage.




La Tulipe



[...] Un temps, la mode et la spéculation vous voulurent noires, et vous payèrent d'un haut prix. Plus votre deuil violacé était opaque, plus vos amants se ruinaient pour vous. Mais vint une époque de famine, et l'on fit cuire vos précieux bulbes pour les manger. Récemment, vous servîtes des desseins nobles: pendant l'Occupation, Paris gonflé d'espoir, aigri de rancune profonde, vendait chez ses fleuristes des bulbes - trois par pot - qui trouvaient le moyen d'être séditieux: "Un joli pot de tulipes, madame, pour la culture en appartement?..." Mars venait, la nacre de l'oignon éveillé fendait sa sèche enveloppe, qui en place de tulipes donnait issue à trois jacinthes gaillardement chauvines - une bleue, une blanche, une rouge.

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